Et si votre avatar vous donnait des super-pouvoirs ?
« Effet Proteus » : S’auto-influencer et rationaliser ses attitudes et comportements, en se basant sur l’apparence physique de son avatar
Introduction
Imaginez un monde où il y aurait plusieurs versions de vous-mêmes. Un univers où chaque personnage que vous incarneriez vous donnait un super pouvoir. Cela ressemble à de la science-fiction, pas vrai ? pourtant c’est déjà possible à travers un outil qu’on connait tous (ou presque) : LES AVATARS !
Qu’est-ce qu’un avatar ?
Si je vous dis “AVATARS”, à quoi pensez-vous ? Non, je ne parlerai pas ici des créatures bleues du film de James Cameron, ni du dernier maître de l’air. Cherchez encore… si je vous dis les SIMS, World of Warcraft, Wii Sports… Bingo, vous avez trouvé !
Je vais vous parler de ces personnages qui nous représentent dans un jeu vidéo ou dans les métavers (méta-univers), ces mondes virtuels le plus souvent en 3D comme Second Life, IMVU, VR chat… qui se multiplient depuis le début du 21 siècle.
Comme vous l’avez sans doute remarqué, ces entités numériques peuvent prendre plusieurs formes et présenter plusieurs degrés de réalisme, pour des raisons techniques (comme ci-dessous, avec 2 versions du même personnage réalisées à des époques différentes) ou simplement par choix de leur concepteur.
Qu’on soit des gamer pro ou “Casu” (joueur occasionnel), nous sommes nombreux à avoir déjà incarné un avatar comme Super Mario, Lara Croft ou Sonic. L’avatar humanoïde reste le plus courant, mais il n’est qu’une possibilité parmi d’autres. Le joueur peut également choisir d’incarner des animaux, des robots, des vampires ou même des objets. En fait, suivant la plateforme utilisée, les possibilités de personnalisation peuvent quasi infinies.
Chacun son style d’avatar !
Si certains construisent minutieusement leurs avatars afin qu’ils leur ressemblent, d’autres choisissent des attributs à l’opposé de ce qu’ils sont dans la vie réelle. Ils peuvent par exemple créer un soi-idéalisé plus attrayant, plus jeune ou plus fort, un avatar de l’autre sexe ou un personnage irréel. Ainsi, la belle guerrière aux cheveux blancs que vous croisez dans votre MMORPG préféré peut être l’avatar de Franck, votre patron, ou de Paul, votre voisin retraité !
Au-delà de ces rencontres plus ou moins heureuses, une question centrale se pose : est-ce que ces avatars, dans leur grande diversité, sont susceptibles de moduler les comportements des utilisateurs qui les incarnent ?
Quel est leur secret ?
L’effet Proteus
Le mot « Avatar» vient du terme sanskrit « Avatara », qui se réfère à la descente d’une divinité du ciel. Les divinités hindoues seraient venues sur terre comme avatars pour aider les humains dans leur lutte vers l’illumination et le salut. Et si les avatars tels qu’on les connait aujourd’hui cachaient eux aussi un super-pouvoir ?
SPOILER ALERT !
Au-delà d’ajouter simplement du plaisir au jeu, le recours aux avatars peut influencer notre comportement. Yee & Bailenson (2009) ont par exemple démontré que la taille et l’attractivité d’un avatar était un indicateur important des performances du joueur.
Ce phénomène selon lequel l’individu s’auto-influencerait et rationaliserait ses comportements en se basant sur l’apparence physique de son avatar est nommé « effet Proteus » – en référence au dieu de la métamorphose. Yee et Bailenson (2007) l’ont testé expérimentalement pour la première fois en 2007.
Conformément à la théorie de l’auto-perception (Bem, 1972), si nos états internes sont ambigus ou difficilement interprétables, nous adoptons la même position qu’un observateur extérieur et nous fondons nos observations sur des indices externes.
Plus surprenant encore, l’effet Proteus initié dans un environnement virtuel peut aussi perdurer lors d’un face à face « In Real Life ». Saviez-vous par exemple que le fait de voir votre double numérique courir sur un tapis de course, vous motiverait pour aller à la salle de sport ? Vous me direz, on en a tous besoin après le confinement !
Par ailleurs, nous serions d’autant plus susceptible d’imiter le comportement de notre avatar dans le monde réel qu’il nous ressemble physiquement (Waddell, Sundar& Auriemma, 2015).
Becoming a hero
Dans le même ordre d’idée : si vous incarnez un super-héros dans un jeu vidéo, avez-vous plus de chances d’adopter un comportement altruiste dans la vie quotidienne ? Rosenberg, Baughman & Bailenson (2013) nous démontrent que oui.
Les travaux antérieurs de Lenhart, Kahne, Middaugh, Macgill, Evans & Vitak, (2008) avaient déjà montré que des adolescents jouant à des jeux vidéo incluant des expériences civiques étaient plus enclins à intégrer des mouvements sociaux ou civiques dans la vraie vie. Étonnamment, les jeux vidéo violents seraient tout aussi prompts à déclencher des comportements prosociaux que les jeux pacifiques (Gentile, Anderson, Yukawa, Ihori, Saleem, Ming & Sakamoto, 2009).
Les avatars influencent notre perception des objets. Par exemple, selon que l’on incarne un personnage adulte ou enfant, la perception et l’estimation de la grandeur d’un objet peut varier (Banakou ,Groten & Slater, 2013). De la même manière, les avatars influencent notre perception d’autrui. Peck, Seinfeld, Aglioti & Slater (2013) démontrent ainsi que, si un joueur de peau claire est mis dans la peau d’un avatar de peau foncée, ses préjugés raciaux diminuent.
Becoming Einstein
Les nombreuses recherches effectuées sur la personnalisation des avatars dans les jeux numériques s’accordent donc à dire que ces constructions virtuelles ont le pouvoir de modifier notre vision et notre relation au monde réel. Et si elles avaient aussi un effet sur nos performances, dans certaines tâches ou situations ?
Banakou, Kishore & Slater (2018) ont en effet montré que des, si l’on propose à des individus d’incarner l’avatar du savant Albert Einstein, leurs performances lors d’une tâche cognitive est sensiblement améliorée, en comparaison de celles observées avec un avatar neutre. Par ailleurs, selon Guegan, Buisine, Mantelet, Maranzana & Segonds (2016), incarner l’avatar d’un inventeur permettrait au joueur de générer davantage de propositions créatives.
Conclusion
Les avatars, autrefois réservés aux « hardcore gamers » et aux fans de science-fiction, se sont progressivement invités dans tous les foyers et sont aujourd’hui exploités dans différents contextes ludiques, professionnels ou éducatifs.
En diminuant les stéréotypes de groupe, les avatars ont le pouvoir de changer nos attitudes, nos perceptions et nos comportement. Un senior peut ainsi se retrouver dans une salle de cours virtuelle avec des étudiants beaucoup plus jeunes que lui, le fait d’incarner un avatar similaire à celui de ses camarades lui épargnera certains biais psycho-sociaux susceptibles de nuire à ses performances.
De manière générale, les espace virtuels utilisant des avatars réduisent les désavantages liées aux caractéristiques physiques d’un individu, au profit de ses qualités « intérieures ».
Savoir que ces entités ont le pouvoir de nous affecter aussi bien dans l’environnement virtuel que dans le monde réel est naturellement un élément crucial pour la recherche actuelle en ergonomie des interfaces, et pour l’UX Design dans son ensemble.
Et vous, quel avatar aimeriez-vous incarner / créer ?
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Source des images: Mohan World, IGN, Dribble et UnDraw