Le rendez-vous de l’UX et de l’éco-conception

Quatre virages technologiques et un renversement

Il était une fois quatre révolutions industrielles qui modifièrent les usages et la vie des hommes.

Après plusieurs siècles d’innovations, l’emballement des évolutions technologiques commençait à mettre en péril le bien être humain et la sauvegarde de la planète…  L’homme et la préservation de son environnement devaient revenir au centre des préoccupations.

Les révolutions industrielles

Cela débuta lorsque l’homme commença à maîtriser la production de l’énergie ce qui engendra plusieurs virages au niveau de la production et des modes de vie.

  • Dans les années 1784, les machines à vapeur et la mécanisation virent le jour (Industrie 1.0),
  • Puis à partir des années 1870, l’énergie électrique poussa la production de masse avec les lignes d’assemblage (Industrie 2.0),
  • Suivirent dans les années 1969 l’émergence de l’automatisation et de l’électronique avec l’arrivée de l’informatique (Industrie 3.0),
  • Ces précédentes révolutions permirent l’émergence du monde de l’internet des objets et des systèmes cyber-physiques (Industrie 4.0).
Les quatre révolutions industrielles
Crédit image : Usine, Ligne de production, Robot, Iot

Avec l’arrivée de l’informatique, l’ergonomie des Interfaces (ou Interactions) Homme-Machines (IHM) voyait le jour. La migration du périmètre couvert par ces innovations de la sphère professionnelle à celles du privée et aux loisirs, associée à la multiplicité des modalités d’interaction toujours plus riches contribua à souligner le besoin de simplicité, d’efficience et de satisfaction des utilisateurs. La conception centrée utilisateur prenait son essor au sein des projets. L’ergonomie évolua pour traiter de l’Expérience Utilisateur dans sa globalité et l’on commença à parler d’UX Design.

La course à l’innovation s’accélérant avec la multiplicité des équipements technologiques, ceux-ci venaient à être renouvelés de plus en fréquemment dans les bureaux et les foyers. Des files d’attentes s’agglutinaient devant certaines enseignes (dont celle à la pomme) lors de la sortie d’un nouveau modèle de smartphone. Etions-nous, sans nous en rendre compte, en train de croquer le fruit défendu… ?

Renversement et grande bascule

Le baromètre du numérique 2019, publié par l’Arcep, commença à identifier un renversement de l’opinion sur le numérique : celui-ci n’étant perçu comme une chance qu’à hauteur de 38 % contre 53 % en 2008. 

En 2019 la pollution numérique représentait 3,8% des GES contre  2 % en 2008.
Le numérique et l’environnement
Crédit : Extrait illustration Baromètre 2019 publié par l’Arcep

Après des décennies de frénésie et de surconsommation, une pandémie mondiale, les bouleversements climatiques subits par notre planète ainsi que des événements politiques majeurs nous mirent au pied du mur. 

C’est alors que le 24 août 2022, fraichement (c’est une image en période de réchauffement climatique…) rentré de vacances, le Président de la République Française Emmanuel Macron nous sifflait la fin de la partie et de l’abondance. “La grande bascule” était évoquée. 

L’épuisement des ressources et pollution numérique

Notre stratégie de consommation doit évoluer afin d’être moins énergivore et plus respectueuse de notre environnement. La course au “toujours plus” n’est plus d’actualité et devrait même être proscrite. Cette affirmation s’étend également au domaine des nouvelles technologies.  Arriver à répondre aux besoins, ni plus ni moins, sera déjà un challenge à relever en soi.

En ce sens, le rapport de l’ADEME souligne le rôle de la multiplication des objets connectés (IoT -Internet of Things), la place prépondérante du numérique et de la dématérialisation.

De 1 milliard en 2010, les prévisions estiment à 50 milliards le nombre d’IoT en 2025 puis 100 milliards en 2030.  L’impact écologique ne peut que devenir de plus en plus lourd pour la planète.

Projection du nombre d’objets connectés
Source chiffres : Telecom-sudparis.eu

L’augmentation du nombre de connexions et d’équipements découle en partie des nouveaux usages proposées par les outils numériques. L’explosion des objets connectés et de la 5G génère une croissance de consommation des données (e.g. applications pour exercices physiques, visionnage de la télévision, compteurs EDF, voiture, santé, envoi de message par messagerie…).

Le numérique génère en effet une part de plus en plus importante des gaz à effet de serre (GES). En 2019, ceux-ci représentaient déjà plus 1,5 fois les GES émis par l’aviation civile. Avec une croissance prévue de 10% dans les années à venir, les conséquences sur l’environnement s’avèrent critiques.

Proportion des GES liés à la pollution numérique en 2008 et 2019
Source chiffres : medium.com
Crédit image : Avion

La dématérialisation n’est pas non plus neutre vis-à-vis au niveau de l’empreinte carbone. L’Analyse du Cycle de Vie (ACV) tient compte de l’ensemble des aspects des systèmes numériques.

Ceux-ci sont composés de deux ensembles :

  • La technique, avec ses trois composantes physiques : les terminaux, infrastructures réseau et centres de données ;
  • L’usage constitué des actions réalisables par les outils numériques (e.g. envoyer des mails, regarder des vidéos en ligne, rédiger un document, etc.), de la fréquence d’utilisation des terminaux, des types de contenus et données consultés et stockés.

Pour les aspects techniques par exemple, la fabrication d’un ordinateur nécessite 100 fois son poids en matières premières. L’extraction de ces matières premières s’avèrent extrêmement énergivores. « La phase de production des équipements numérique représente plus de 75% de l’empreinte environnementale du numérique (i.e. émissions de gaz à effet de serre, consommation d’eau et de ressources) ». 

Ensuite son utilisation va générer de la consommation d’énergie en lien notamment avec les volumes des données consommées. L’énergie consommées par les réseaux fixes et mobiles augmente en moyenne de 5% par an en France.

Consommation énergétique des réseaux fixes et mobiles
Crédit image : Extrait infographie Arcep Avril 2022

Il est ainsi possible d’agir sur ces deux volets, techniques et usages, pour déployer la sobriété numérique

Sobriété numérique et paradoxe

Un changement des usages est l’un des leviers pour emprunter la voie de la sobriété numérique.

L’impact du numérique
Crédit image : Ouch par Victoria Chepkasova

La sobriété technologique « choisie » est définie comme « La recherche de modération dans la consommation de biens et de services nécessitant des ressources énergétiques ou matérielles ». Elle permettrait de réduire l’impact du numérique en s’appuyant sur une évolution des comportements au niveau individuel ou collectif.

Pour y arriver il sera nécessaire de lutter contre « l’invisibilisation »  des impacts du numérique. Cette invisibilisation contribue à un manque de connaissance  de la part des utilisateurs. Après des campagnes de communication vantant le cloud et la dématérialisation, une perception immatérielle des services s’est installée. Celle-ci contribue à véhiculer une représentation sous-estimée de l’impact des usages associés et de leurs conséquences qui sont loin d’être neutres.

Cependant, le rapport de l’ADEME indique que les enjeux du numérique responsable s’avèrent incompatibles avec d’autres enjeux sociétaux jugés prioritaires (i.e. développement du numérique et réduction de son impact environnemental, souveraineté et compétitivité, inclusion) ce qui complexifie la donne.

Sur la feuille de route numérique et environnement publiée par le gouvernement, il est mentionné « La transition écologique sans le progrès numérique est impossible, et la transition numérique doit s’inscrire dans l’exigence écologique. Ces deux transitions doivent donc converger pour promouvoir un progrès maitrisé et au service d’une modernité respectueuse de l’environnement ».

L’Écologie digitale

L’écologie digitale devrait nous aider à mieux appréhender cet impact du numérique et à le maîtriser. Cette discipline étudie « l’impact environnemental des différents écosystèmes reliant l’humain et le digital dans le but d’en limiter les effets nuisibles pour l’environnement ». Pour cela, des méthodologies de quantifications de l’impact environnemental doivent être définies et homogénéisées afin de proposer des alternatives numériques soutenables.

En parallèle il est nécessaire de former et sensibiliser sur les impacts environnementaux du numérique, c’est à dire :

  • de matérialiser le numérique en expliquant son fonctionnement, la construction et la maintenance des objets et services numériques dès l’école primaire ;
  • de sensibiliser les consommateurs aux bonnes pratiques d’usages.

A partir de la feuille de route du numérique et de l’environnement du Gouvernement, 15 actions concrètes réparties sur 3 axes sont identifiées sur le rapport de l’ADEME (Évaluation de l’impact environnemental du numérique en France et analyse prospective, Janvier 2022)

Les actions identifiées dans le rapport de l’ADEME

Nous pouvons donc déjà commencer à notre échelle à privilégier les comportements les plus vertueux dans nos usages dès lors qu’ils sont portés à la connaissance de tous (Action 12).

Utiliser le Wi-Fi à la maison pour ses usages sur le téléphone mobile est un geste de sobriété énergétique !
Utiliser le wifi à la maison
Crédit image : Extrait infographie Arcep avril 2022

La mise en œuvre de ces différentes actions devraient nous permettre d’amorcer cette transition énergétique et de la généraliser.

UX et Eco-conception

Ainsi les choix de conception doivent privilégier les options les plus écologiques et les moins coûteuses pour l’environnement (cf. action 7).

Capter et conserver l’attention des utilisateurs, créer de l’engagement, promouvoir des produits tout en captant les données des utilisateurs pour faciliter la consommation de toujours plus de contenus et s’accaparer l’attention des utilisateurs contribue à augmenter le trafic internet et les GES. N’est-il pas temps de redonner le pouvoir de décision à l’utilisateur et de la transparence en appliquant plus souvent les principes d’éthique lors de la conception ? 

Apporter de la simplicité en répondant aux besoins exprimés par les utilisateurs et en proposant des applications ou des fonctionnalités utiles présente un levier d’action important. Actuellement 25 % des applications ne sont jamais utilisées. Nous en revenons à l’un des principes fondamentaux de l’UX Design qui est de proposer des fonctionnalités utiles et que l’on retrouve également dans les référentiels d’écoconceptions mis à disposition par le collectif Green.it.

Extrait de la check-list GreenIT

Côté technique, des outils comme Ecometer et Ecoindex permettent de mesurer l’éco-index d’un site web en lui affectant une note sur 100.  Une note élevée indique de bonnes performances environnementales. 115 bonnes pratiques sont également présentées sur le site d’Ecometer pour nous aider à améliorer les performances des pages web.

Extrait de bonnes pratiques répertoriées sur le site Ecometer
Détail d’une fiche bonne pratique présentée sur le site Ecometer

Les défis à venir

Nous arrivons à un point de bascule où les choix de conception doivent être guidés par les besoins des utilisateurs mais également par ceux de notre environnement. Les aspects environnementaux et énergétiques doivent être intégrés dès la définition des cahiers des charges. La feuille de route du numérique commence à en dessiner la trajectoire. Côté UX design la définition des fonctionnalités en lien avec les besoins réels des utilisateurs reste essentielle. 

C’est ainsi qu’UX Design, Sobriété technologique et Éco-conception eurent de nombreux défis à relever…

Références

Crédit image

Auteur/Autrice

  • Michèle Delacroix

    UX Lead, UX Designer - Michèle a une grande expérience dans l’analyse et l’optimisation d’IHM complexes (aéronautique, prévoyance…) et est l’interlocuteur privilégié de la Maitrise d’Oeuvre et de la Maitrise d’Ouvrage dans des projets d’envergure grâce à son écoute et à sa capacité à trouver les bons compromis. Michèle est également en charge de notre projet R&D « Technologies Usages et Interactions ».

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