Peut-on améliorer l’expérience utilisateur du vote ?
Elections européennes, législatives, présidentielles… Les scrutins se multiplient ces dernières années, rythmant la vie démocratique de notre pays. En tant qu’assesseur, j’ai eu l’opportunité d’observer de l’intérieur le processus de vote et d’en analyser l’expérience utilisateur (UX).
Si on parle beaucoup d’UX pour des interfaces numériques, ce concept s’applique en réalité à tous les aspects de la vie, y compris l’acte de voter. Décryptons ensemble les différentes étapes de l’expérience utilisateur du vote et explorons comment nous pourrions l’améliorer.
C’est quoi l’UX d’un évènement ?
L’UX d’un événement ne se résume pas à la conception d’une interface digitale. Il englobe l’ensemble des interactions et ressentis par le participant, avant, pendant et après l’événement. Prenons l’exemple d’un festival de musique. L’expérience englobe l’application de réservation, l’accès au site, la découverte des artistes, l’ambiance générale, la météo, etc.
Un autre exemple avec une application comme Uber : l’expérience vécue ne se limite pas à l’application. Pour que le service fonctionne, l’application doit bien sûr répondre aux besoins des utilisateurs mais ce n’est pas tout. C’est également l’expérience toute entière qui va déterminer si le service va être apprécié :
- Sentiment de sécurité
- Efficacité et disponibilité des chauffeurs
- Propreté des voitures
- Sympathie ou non du chauffeur
- Etc.
Tout comme ces exemples, l’expérience de vote en France dépend de plusieurs éléments avant, pendant et après le scrutin.
Avant le Vote
Il est crucial d’être informé de la date de l’élection, des débats politiques et des campagnes électorales. Certaines élections, comme les législatives anticipées, bénéficient d’une large couverture médiatique, tandis que d’autres, comme les cantonales, passent souvent inaperçues. Les alliances et trahisons entre personnalités politiques animent les discussions entre amis, collègues et familles.
De plus, il est important de mentionner l’influence potentielle des sondages sur les électeurs. Certaines études questionnent la pertinence des sondages et leur impact sur les intentions de vote. Aux dernières élections, le rassemblement national était donné en tête selon les sondages. Cependant, il a fini troisième force politique de l’assemblée.
Si un électeur voit que son parti préféré est constamment crédité de 2 % d’intentions de vote, il pourrait être tenté de changer son vote pour un parti ayant de meilleures chances, c’est ce qu’on appelle le « vote utile ». Cette dynamique peut influencer la motivation des électeurs à se déplacer le jour J et se sentir concernés par le processus électoral.
Pendant le vote
Le jour du vote, le processus est toujours plus ou moins le même quelle que soit l’élection. Cependant, il est important que les électeurs aient connaissance du mode de scrutin. Un ou deux tours, un vote pour un candidat ou pour une liste, élections nationales ou régionales, etc…
Par exemple, beaucoup d’électeurs ont été surpris au second tour des élections législatives de ne pas retrouver le bulletin de leur candidat. Il fallait leur expliquer pourquoi celui-ci n’avait pas atteint le second tour. Cela peut être soit par désistement, soit car le seuil de nombres de voies n’avait pas été atteint.
L’expérience de se déplacer dans son bureau de vote, présenter ses papiers, faire son choix dans l’isoloir et mettre son bulletin dans l’urne est similaire à chaque élection. Ce qui va varier et déterminer si l’on a eu une bonne ou une mauvaise expérience résulte principalement de l’aspect social.
Le bureau de vote est un lieu de rencontre. On y croise des voisins, on se plaint de l’attente ensemble dans la queue, et on échange plus ou moins avec les assesseurs. Les bénévoles n’ont qu’une consigne : ne pas parler de politique, ni exprimer d’avis politique. Ils peuvent bien sûr discuter de tout autre sujet s’ils le veulent et s’ils ont le temps avec les électeurs. Cette règle assure une neutralité face aux électeurs. On peut être en désaccord politique et faire preuve de courtoisie les uns envers les autres.
Venir à une heure de pointe ou à une heure creuse, trouver des sourires ou des mines renfrognées, dire un mot aux bénévoles ou partir rapidement, tous ces éléments impacteront l’expérience que l’on vit en tant qu’électeur.
Après le vote
Si l’expérience sociale a été positive, les électeurs repartent avec le sentiment de satisfaction d’avoir accompli leur devoir citoyen. À l’inverse, une expérience désagréable peut laisser certains électeurs frustrés ou démoralisés, surtout s’ils anticipent la défaite de leur candidat.
Une cartographie de l’expérience utilisateur du vote mettrait en évidence l’importance de :
- Motiver les citoyens à participer
- Assurer un processus fluide et compréhensible
- Minimiser l’attente et les frustrations
- Garantir que les électeurs quittent les bureaux de vote satisfaits.
Différents systèmes électoraux à travers le monde, comme le vote obligatoire en Belgique ou la reconnaissance du vote blanc réclamée par certaines associations, montrent la diversité des approches pour optimiser l’expérience électorale.
Après le vote, c’est aussi les décisions politiques hors de notre contrôle qui vont impacter l’expérience. Si le résultat d’un vote n’est pas respecté, si des décisions sont prises unilatéralement avec le 49.3, les électeurs peuvent ressentir de la frustration et se désintéresser du processus électoral petit à petit.
Comment assurer une bonne expérience utilisateur lors du vote ? Comme on a vu, c’est principalement l’aspect social qui est important. Former les bénévoles serait sans doute le plus efficace pour cela.
Malheureusement c’est aussi l’aspect le plus complexe à travailler. Changer une technologie présente déjà des difficultés d’adoption, mais changer le processus entier du vote pour satisfaire les élécteurs est hautement plus compliqué.
Le bureau de vote regroupe deux types d’utilisateurs : les électeurs (persona primaire) et les bénévoles (persona secondaire). Pour améliorer l’expérience du persona primaire (électeurs), il faudrait agir sur les persona secondaire (bénévoles) soit en améliorant leur situation, soit en les formant. Evidemment d’autres aspects sont améliorables. On peut notamment citer le matériel comme les enveloppes et les bulletins ou de façon générale toute la technologie utilisée.
Le vote papier en 2024
À l’heure de l’IA, on peut s’étonner que le vote en France suive toujours la même formule qu’il y a 70 ans. Des enveloppes, des bulletins de vote en papier, un isoloir branlant et une urne. La France adopte une approche très low tech des élections, mais pour une raison simple : la vérification citoyenne.
Le fait d’utiliser du papier et une urne, ainsi qu’un dépouillement manuel, permet à n’importe quel citoyen, quel que soit son âge, de vérifier que tout se passe conformément aux règles. On peut constater de ses yeux s’il y a une fraude. Une personne peut observer la journée de vote, rôle attribué aux délégués des partis. Il faudrait alors que cette personne, les trois assesseurs tenant le bureau de vote et les quatre scrutateurs chargés du dépouillement ferment les yeux sur une erreur.
Ce n’est pas parce que le processus est low tech qu’il n’y a pas de points de friction à améliorer. Par exemple, les enveloppes sont petites. Il est parfois difficile d’insérer un bulletin, notamment lors des Européennes où il s’agit d’une feuille A4. Les enveloppes ne se collent pas, et beaucoup d’électeurs n’osent pas forcer la languette dans l’enveloppe, se retrouvant à le faire devant l’urne.
De même, les bulletins ne sont pas standardisés. Certains mettent en avant leur parti avec leur logo tandis que d’autres mettent en avant le nom du candidat ou une coalition de partis (comme les partis du Centre qui affichaient « Ensemble » sur les bulletins, plutôt que “Renaissance” ou “Modem”) ce qui a pu perturber certains électeurs moins informés.
Plusieurs types de vote papier
D’autres pays gèrent différemment tout en restant low tech.
En Allemagne, les bulletins de vote sont directement dans l’isoloir. Les électeurs cochent dans une liste le parti pour lequel ils votent et jettent ensuite leur bulletin plié dans une benne. Le système des enveloppes a été imposé aux électeurs français. Cependant, vu le nombre d’erreur ou d’incompréhension, on pourrait suggérer de trouver une autre solution tout en gardant l’aspect low tech cher à la République.
Les alternatives technologiques
Il existe deux alternatives principales au vote papier : les bornes de vote électronique et le vote par internet.
Le vote par Internet
Le vote par internet est très limité en France. Il ne concerne que les Français de l’étranger pour certaines élections, comme les législatives. Pour voter, ces derniers doivent s’inscrire au préalable au registre du consulat ou de l’ambassade. A l’ouverture du scrutin, les électeurs reçoivent un code par SMS ainsi qu’un identifiant et un lien de connexion par email. Une fois connecté, on peut choisir de voter pour un candidat ou de voter blanc. Après avoir voté, on reçoit un nouveau code de validation par email ainsi qu’un récépissé.
Ce mode de vote est très pratique et sécurisé. Cependant, il supprime l’effort démocratique de se déplacer et de symboliquement insérer un bulletin dans une urne avec tous les autres bulletins de ses compatriotes. De plus, le dépouillement traditionnel est inexistant. Bien que l’on reçoive un récépissé et que le code puisse être consulté théoriquement, il n’est pas possible d’assister physiquement à un dépouillement pour recompter les votes et s’assurer de l’absence de fraude.
Cet aspect de démocratie directe, où chacun peut voir et vérifier le processus, explique pourquoi la France reste réticente face au vote en ligne.
Le vote électronique
Les bornes de vote électroniques sont une alternative technologique utilisée dans certains bureaux de vote français. L’objectif est de faciliter et de moderniser le processus électoral. Leur fonctionnement est simple : l’électeur se rend à la borne, s’identifie, puis sélectionne son choix sur un écran tactile. Une fois le vote validé, un reçu imprimé peut être généré pour confirmer l’enregistrement du vote.
D’autres bornes ont vu le jour depuis, comme à Antibes, où les électeurs sont accueillis par des assesseurs qui vérifient leur identité. Ensuite, ils les invitent à passer sur la borne pour exprimer leur vote. Enfin, la traditionnelle signature clôture le processus.
Bien que pratiques et rapides, ces bornes présentent des limites. Elles nécessitent une infrastructure technologique robuste et sécurisée, ce qui peut poser des défis logistiques et financiers. De plus, des préoccupations subsistent quant à la sécurité des données et la possibilité de cyberattaques, ainsi que la transparence du dépouillement électronique par rapport au dépouillement manuel traditionnel.
Conclusion
L’expérience utilisateur du vote en France est un processus riche et complexe, influencé par une multitude de facteurs avant, pendant et après le scrutin. Alors que la France maintient une approche résolument low tech pour garantir la transparence et la vérification citoyenne, il existe des possibilités d’amélioration pour rendre le vote plus accessible et plus agréable pour les électeurs. Les solutions technologiques, telles que le vote électroniques et le vote par internet, offrent des avantages en termes de praticité et de rapidité. Cela soulève cependant des questions de sécurité, de transparence et de maintien du caractère symbolique du vote.
L’essentiel est de trouver un équilibre entre tradition et modernité, en tenant compte des attentes des citoyens et des impératifs de sécurité. En formant les bénévoles et en optimisant les points de friction existants, il est possible d’améliorer l’expérience de vote sans sacrifier les principes démocratiques fondamentaux. En fin de compte, l’objectif est de garantir que chaque électeur puisse participer de manière fluide et satisfaisante à la vie démocratique de son pays et surtout continuer à y participer et s’impliquer de plus en plus.
Ludotic peut également vous accompagner sur vos projets numériques et sur tous les aspects hors numériques qui composent l’expérience de vos utilisateurs !