De la Wii à la Wii U : chemin parcouru

La Wii a bientôt 6 ans et sa petite sœur sort en Europe dans quelques jours. L’occasion de tirer un bilan de cette expérience vidéoludique et se poser quelques questions sur le futur.

Exploiter de manière originale des technologies existantes

Sortie fin 2006, la Wii de Nintendo a fortement participé à l’émancipation du jeu vidéo notamment grâce à l’interaction gestuelle. Cette interaction à l’avantage d’être très intuitive car basée sur des mouvements normalement connus de tous, ou du moins réalisables assez facilement par tout un chacun (donner un coup de fouet, simuler une épée ou combattre ses ennemis, etc.). Contrairement au combo clavier/souris, ou même aux manettes, qui nécessitent un apprentissage suffisamment lourd pour avoir mis pendant longtemps toute une génération sur le banc de l’interaction vidéo ludique, l’interaction gestuelle se veut intuitive et naturelle.

Il est indéniable que la Wii a démocratisé l’interaction gestuelle grâce notamment à une exploitation ingénieuse de technologies désuètes (cf. Gunpeï Yokoï, par exemple dans cet article http://www.dessein.org/gunpei-yokoi-et-la-pensee-laterale-des-technologies-desuetes/). Mais que pouvons-nous penser, avec 6 ans de recul, des interactions mises au point ?

Un bilan en termes de User Experience

Commercialement d’abord, il est simple de constater cette réussite par l’observation des stratégies adverses : tous ses concurrents directs (Sony et Microsoft) se sont lancés sur le motion gaming (i.e. jouer par le mouvement). Les autres médiums se sont aussi inspirés de cette interaction : les fonctions gyroscopiques des téléphones (secoue ton iPhone et il change de musique, ou bien il efface le mail en cours de rédaction), la possibilité de monter et baisser le son de la télé via les télécommandes à détection de mouvement et sélectionner une chaîne en la visant sur la mosaïque, etc.

Pourtant, en termes de gameplay, le succès n’est pas aussi évident : quels mécanismes d’interaction gestuelle s’avèrent dorénavant indispensables pour tous jeux ? En quoi cette interaction a-t-elle chamboulé l’approche d’un jeu vidéo par les joueurs ? Mis à part le fait de simuler un lancer des grenades, simuler une épée et son bouclier, ou bien tirer à l’arc, peu de mécaniques ont émergé, et encore moins ont réussi à devenir des standards de jeux vidéo.

On peut expliquer cet effet par au moins deux aspects : la position adoptée par les joueurs en plein jeu et la précision de l’interaction. Tout d’abord la position de jeu : assis, les bras ballants le long du corps, les deux mains rapprochées (Wiimote et Nunchuk), c’est la position standard du joueur utilisant une manette simple pour jouer… Le joueur préfère viser avec un joystick et valider par une pression sur un bouton plutôt que de tendre ses bras dans le vide pour viser ! Pourquoi ? N’est-ce pas plus immersif ? Certainement ! Mais c’est surtout plus fatiguant, moins rapide et de surcroît moins précis, spatialement et temporellement (qui peut jouer en laissant les bras tendus vers l’écran plus de 5 minutes ? « Minority riz » quoi ?) ! D’ailleurs, la vente d’une manette classique Wii pour remplacer le combo Wiimote/Nunchuk démontre bien le caractère facultatif de cette interaction dans le jeu vidéo. Mieux, certains jeux s’avèrent bien plus fun avec un pad classique (Mario Kart, Smash Bros Melee Brawl, etc.) ! Sans compter la commercialisation d’un dispositif améliorant la précision de la wiimote : la wiimote +, qui n’a malheureusement, elle non plus, pas fait d’émule dans la créativité des développeurs.

Si le coté immersif est attirant au départ, le manque de précision amène vite les joueurs à revenir au pad pour retrouver la sensation de contrôle et pour que leurs erreurs soient comprises et non imputées au manque de précision de l’interface.

En quelque sorte, Nintendo a ouvert les portes de l’interaction gestuelle (pour tous), mais est resté sur le palier !

Microsoft avec son Kinect est allé plus loin : Kinect propose par exemple d’ouvrir la conversation avec la machine en levant la main gauche (je le jure), comme à l’école, signifiant à la machine que nous souhaitons commencer notre communication homme-machine. Dès lors, un balayage gauche-droite de la main sera pris en compte et traduit comme une volonté de faire défiler les informations de gauche à droite sur l’écran.

Il est intéressant de constater que malgré ces 6 années et cet engouement dans le gestuel il n’y ait pas eu d’avancée majeure en termes d’interaction homme machine en général (cf. notre article de blog concernant l’évolution des IHM).

La Wii U !

L’objectif de ce billet n’est pas uniquement de faire un bilan IHM de la Wii : il sert à se poser des questions quant à l’arrivée dans quelques jours de la nouvelle Wii : la Wii U ! Plus puissante, elle est aussi et surtout accompagnée d’un nouvel équipement : le GamePad. Sorte de tablette, elle servira tout d’abord de manette (d’où son appellation de Mablette… manette + tablette) grâce aux différents joysticks et boutons présents. Mais l’innovation principale vient de la présence d’un écran sur ce même GamePad. L’objectif est donc double : pouvoir jouer directement sur sa tablette afin de ne pas occuper le téléviseur familial, mais aussi trouver des nouvelles formes d’interaction dites « asymétriques » (http://www.jeuxactu.com/pour-tout-savoir-du-gameplay-asymetrique-de-la-wii-u-81365.htm) :

« L’intérêt de cette séparation [des écrans] dans le cas de la Wii U est justement de donner la possibilité au joueur tenant la mablette (manette/tablette) de progresser dans le même jeu que son partenaire mais via un point de vue, des interactions et/ou une prise en main différente. » selon les dires de Nintendo.

Gameplay asymétrique sur Wii U. Des informations complémentaires au jeu sont proposées sur la “mablette”

 

Mais alors : quid du motion gaming ? Nintendo abandonnerait-il cette forme d’interaction au profit du GamePad ? Est-ce un retour en arrière ? Ou laissent-ils plutôt le champ libre aux créatifs après avoir défriché le terrain du « gesture control »?

Le travail du cabinet Gartner répond à sa façon à ses différentes questions : son Hype Cycle décrit les différentes phases par lesquelles passent les technologies et les services avant d’être largement acceptées. Les commandes gestuelles sont dans une période de désillusion : il semblerait que cette technologie ait passé son pic d’intérêt auprès du grand public en 2007 (un an après la sortie de la Wii) et a périclité les années suivantes. Beaucoup d’articles sont d’ailleurs parus par la suite définissant le motion control comme un gadget, « a gimmick ». Certains diront que l’ « effet de mode est passé ». Dans tous les cas, la perte de confiance en cette interaction semble avoir été entendue par Nintendo.

Le Hype Cycle, mis au point par Gartner, décrit les différentes phases par lesquelles passent les technologies avant d’être largement acceptées. Cela passe par une attente très forte (et irrationnelle) au début, suivie d’une phase de “désillusion” où la bulle se dégonfle avant une installation sur un plateau où la technologie atteint sa phase de maturité, en phase avec des attentes plus raisonnées des consommateurs.
Source : http://www.generation-nt.com/gartner-hype-cycle-technologies-emergentes-actualite-1614832.html

 

Ce graphique peut aussi nous indiquer pourquoi Nintendo à mis au point ce GamePad : les « media tablet » sont dans une phase d’acceptabilité augmentant, promettant une certaine pérennité à son nouveau contrôleur.

Pour conclure, et d’après vous, quel sera l’impact de la Wii U sur nos habitudes et nos usages d’ici 5 ou 6 ans ? Quelles interactions deviendront des standards ? Seront nous encore là pour en juger ? #findumondebientôt !

Auteur/Autrice

  • Loïc Balouzat

    UX Designer - Ergonome cogniticien spécialisé dans les jeux vidéo et les applications ludo-éducatives, Loïc intervient aussi sur des dossiers d’ergonomie logicielle et Web, en apportant sa vision ludique et immersive de la User Experience.

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