Eye Tracking : mythes et réalités

Le pistage des mouvements oculaires est une technique de mesure de l’utilisabilité des interfaces de plus en plus répandue. En complément de notre page explicative sur l’Eye Tracking, ses tenants et ses aboutissants, le présent article analyse quelques idées reçues ou “mythes” qui circulent autour de cette technique.

L’Eye Tracking est-il une mode ?

« L’Eye Tracking, aujourd’hui tout le monde veut en faire… » J’entend parfois dire que cette méthodologie a le vent en poupe, mais que cela ne va pas durer, car comme toutes les modes elle laissera la place à la prochaine tendance du métier. Certes, depuis quelques années l’Eye Tracking a su s’imposer dans plusieurs domaines (l’UX, mais aussi le marketing, le jeu vidéo ou encore la recherche fondamentale) mais personnellement je ne pense pas qu’il s’agisse juste d’une mode, car cette tendance repose sur 2 facteurs :

  • Le besoin de mieux comprendre l’utilisateur/consommateur de tout produit ou service, qui est toujours d’actualité depuis des décennies
  • La technologie de pistage des mouvements oculaires, de plus en plus facile à mettre en œuvre (presque plug&play, peu de contraintes techniques) et accessible à des prix de plus en plus abordables

Ces deux facteurs n’étant pas près de changer, la tendance du Eye Tracking va donc probablement s’installer dans la durée.

Faut-il brancher un Eye Tracker dans n’importe quel test utilisateurs ?

« Sans Eye Tracking, on ne peut pas comprendre l’Expérience Utilisateur. » A mon humble avis, il ne faut pas s’encombrer d’un Eye Tracker lors d’un test utilisateur, sauf si cela a une réelle utilité dans le projet. Comme nous l’expliquons dans notre page dédiée à l’Eye Tracking, cette technique apporte des informations pertinentes lorsque les hypothèses expérimentales portent sur la position des contenus, leur visibilité, leur agencement, leur wording, ou sur la charge mentale de l’utilisateur.

Du coup, si un test utilisateur vise principalement à valider/infirmer des hypothèses liées aux parcours de navigation ou au tunnel d’achat, l’eye tracking n’apportera donc rien de bien spécifique, tout en alourdissant le budget du projet et donc en pénalisant son ROI.

En revanche, par exemple dans le cadre de la compréhension de la player experience (l’UX dans un jeu vidéo), l’Eye Tracker est un moyen privilégié pour accéder aux processus cognitifs du joueur, sans avoir à le perturber (le thinking aloud étant fortement déconseillé).

Gaze Plot (séquence des fixations) enregistré au cours d’une partie à World of Warcraft

Est-ce que l’Eye Tracking fournit des données objectives ?

« L’Eye Tracking fournit des chiffres, donc ce sont des données objectives. » J’entend souvent cette phrase, invoquée comme une raison de faire appel à un oculomètre dans le cadre d’un projet, et je la trouve extrêmement dangereuse. Oui, un Eye Tracker fournit des chiffres (en l’occurrence, des coordonnées X et Y, voire X, Y et Z dans le cas d’un modèle de type Glasses) mais cela ne rend pas cette technique plus objective qu’une autre car ce qui compte ne sont pas les chiffres eux-mêmes mais bien l’interprétation qu’on en fait, qui est bien évidemment liée à tout un tas de facteurs qui ne sont pas objectifs (les compétences de l’expérimentateur, ses biais cognitifs, les réglages de la machine…), comme pour toute autre interprétation de données issues des Sciences Humaines et Sociales (voire des Sciences tout court).

Ces deux cartes de chaleur peuvent faire penser à des comportements visuels très différents, alors qu’il s’agit des mêmes données, sans un avec un filtre à 10 secondes d’exploration de l’écran

En revanche, la force des données oculométriques réside dans le fait qu’il s’agit bien de données comportementales et non pas déclaratives : l’utilisateur n’est souvent pas conscient de comment et pourquoi il déplace ses yeux, le fait d’enregistrer ces informations au lieu de lui demander de les verbaliser nous donne ainsi accès à des données bien plus complètes et fiables (pas de « filtre » de la part de l’utilisateur, pas d’oublis possibles).

L’Eye Tracking dit-il la « vérité » sur l’exploration d’une interface ?

« Si ce n’est pas objectif, alors ce n’est pas vrai. » Là aussi, lorsqu’on entend parler de « vérité » on se doit d’apporter des compléments d’informations. Oui, les données enregistrées sur telle ou telle interface représentent bel et bien une réalité (on ne les a pas inventées !), mais elle est relative au contexte du test dans lequel ces enregistrements ont eu lieu. Un simple changement de tâche, de contexte ou de caractéristiques de l’utilisateur a un impact immense sur la façon d’explorer une interface (les travaux de Yarbus l’ont clairement montré, et ils remontent à 1967…)

Extrait des explorations visuelles issues des travaux de Yarbus : les parcours oculaires (scanpaths) varient en fonction de la tâche donnée à l’observateur du tableau

Dans le cas des interfaces, il faut également prendre en compte les caractéristiques de cette dernière : la mise en page, les couleurs, les contrastes texte/fond, la présence d’éléments en mouvement ou clignotants sont autant de facteurs qui impactent profondément la façon d’explorer une page : le fameux « F pattern », qui voudrait que l’on regarde toujours les pages web de façon horizontale et avec de moins en moins d’intérêt au fur et à mesure que l’on descend vers le bas de la page est ainsi une demi-vérité, car il faut que le contenu de la page se prête à cette façon de l’explorer (voir cet article de NN Group pour plus de détails à ce sujet).  

Et si on branchait un Eye tracker, pour voir ce qu’il en sort ?

« On va brancher un Eye Tracker, on verra bien ce qui en sort. » Alors là, plus qu’une idée reçue, il s’agit d’une énorme bêtise méthodologique. Comme dit plus haut, toute technique de recueil de données doit être employée en fonction des hypothèses de travail du test : si on pense que notre interface pose des soucis d’efficience on enregistrera le nombre de clic ou le temps de réalisation des tâches, si on suppose qu’elle pêche en termes de design graphique on posera des questions d’appréciation esthétique et ainsi de suite. Brancher un Eye Tracker sans savoir pourquoi on le fait, n’a aucun sens, car on ne saura pas quoi chercher dans les données. Et des données il y en aura un sacré paquet… si on ne veut pas se retrouver noyé dans la Big Data des données Eye Tracking (des tonnes et des tonnes de lignes Excel, des fichiers informatiques qui pèsent des Gigas…) il faut donc poser clairement le cadre méthodologique du projet, et associer ses hypothèses opérationnelles aux variables dépendantes oculométriques adéquates.

Un aperçu des données « brutes » qui sortent d’un eye tracker

Mener à bien un test Eye Tracking est donc à la fois bien plus facile en termes de mise en œuvre qu’il y a une vingtaine d’années (soucis de calibrage, limitations techniques importantes, machines complexes à brancher et déplacer…) mais requiert une rigueur méthodologique encore plus importante que pour toute démarche expérimentale classique.

D’autres biais, problématiques et idées reçues existent dans le domaine du Eye Tracking. Faites-nous savoir si vous souhaitez qu’on rédige un second billet de blog pour aller plus loin sur ces thèmes !

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Auteur/Autrice

  • Teresa Colombi

    Managing Director, Docteur de recherche en psychologie cognitive et eye tracking - Teresa allie la passion pour la recherche à celle de l’application des connaissances en ergonomie cognitive pour l’optimisation des Interfaces Homme-Machine. Teresa est reconnue pour son expertise dans le domaine du eye tracking, de la gamification, a rédigé de nombreux articles et contribué à la rédaction d’ouvrages dans le domaine de l’ergonomie cognitive. Teresa gère au quotidien les relations avec les clients Ludotic et supervise la plupart de nos réalisations.

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